Thèse LL.M. - Légitime défense
et théorie
par © François
Lareau, Ottawa, Canada, 1992
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CONCLUSION............................................................... 267 ]
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[267]
CONCLUSION
Nous aurions
pu limiter notre travail sur la légitime défense aux problèmes
soulevés par le droit positif canadien et aux recommandations pertinentes
du Projet de code pénal de la C.R.D. Du droit positif,
nous aurions conclu avec l'évidence suivante : la loi et les décisions
des tribunaux ont rendu le droit si complexe qu'une réforme s'impose.
Pour le Projet de Code pénal, nous aurions démontré
que les recommandations de la C.R.D. constituent un effort louable, mais
qu'elles laissent subsister beaucoup de difficultés.
La légitime
défense ne peut être examinée d'une façon isolée.
Discuter de la légitime défense sans tenir compte des fondements
philosophiques et d'un cadre théorique de la responsabilité
pénale, c'est aboutir inévitablement à de nombreux
culs-de-sac.
Nous avons donc
commencé notre travail en exposant la théorie tripartite
de l'infraction dans laquelle s'inscrit la distinction entre la justification
et l'excuse. Nous avons examiné dans quelle mesure celle-ci
était acceptée dans notre droit. Qu'on soit pour ou
contre cette théorie, la plupart des auteurs s'entendent au moins
sur la très grande utilité théorique de la distinction
entre la justification et l'excuse.
[268] Nous avons fait ensuite une courte histoire de la légitime
défense. La distinction entre, d'une part, l'homicide excusable
et pardonnable en légitime défense et, d'autre part, l'homicide
justifiable dans l'exécution de la loi ou dans la prévention
des crimes et menant à l'acquittement, est officiellement abolie
en 1828. Les dispositions du English Draft Code sur la légitime
défense, adoptées dans le Code criminel, 1892, prévoient
que la personne est "justified". On emploie ce mot afin de protéger
la personne contre une poursuite civile.
Après
avoir présenté ces points introductifs, nous avons examiné,
dans la première partie de notre travail, trois questions se rapportant
au concept de la légitime défense comme justification.
Comme première
question, nous avons analysé trois fondements philosophiques de
la légitime défense : le droit naturel, "le droit n'a pas
à reculer devant l'injustice" et la comparaison des intérêts
juridiques en conflit.
Dans notre évaluation
de ces trois fondements, nous avons retenu comme facteur d'évaluation
la condition d'exercice de la légitime défense que l'on retrouve
au Canada, soit la proportionnalité entre l'attaque et l'acte de
défense. Cette condition exprime des valeurs canadiennes :
la dignité de la personne humaine et le respect pour la vie.
Le fondement, "le droit n'a pas à reculer devant l'injustice", dans
son essence même est déficient à cet égard.
Le fondement de la comparaison [269] des intérêts
est acceptable, car il semble comporter implicitement la condition de la
proportionnalité. Le fondement du droit naturel nous semble
celui le plus conforme à notre droit constitutionnel. Il respecte
la condition de proportionnalité à cause de sa dimension
inhérente d'éthique.
Comme deuxième
question, nous avons examiné les conditions d'exercice de la légitime
défense. Il doit d'abord y avoir une attaque illicite ou une
menace d'attaque illicite et imminente contre la vie, l'intégrité
physique ou la liberté physique de la personne ou celle d'un tiers.
L'acte de défense doit être nécessaire. Il doit
être proportionnel à l'attaque. Enfin, on doit avoir
agi pour se défendre ou défendre autrui, pour repousser l'attaque
ou la prévenir. Nous avons fait un examen théorique
de chacune de ces conditions et nous avons ensuite vérifié
dans quelle mesure celles-ci étaient respectées aux articles
34 et 37 du C.cr. et dans le Projet de code pénal
de la C.R.D.
Sauf pour quelques
difficultés importantes que nous avons entrevues, la théorie
concorde avec le droit positif. Parmi les difficultés possibles
du droit positif, soulignons l'application de la légitime défense
contre l'attaque d'une personne souffrant de désordre mental et
la disponibilité de la légitime défense pour la personne
séquestrée. Pour le Projet de code pénal,
le refus de classer les moyens de défense en justifications ou excuses
a comme conséquence qu'il est impossible de déterminer si
une personne peut invoquer l'al. [270] 3(10)a)
sur la défense de la personne contre l'agresseur agissant en état
de nécessité, par contrainte etc. En effet, sans la
distinction entre la justification et l'excuse, nous ne savons pas si ces
personnes agissent licitement (légalement) ou illicitement (illégalement).
Pour notre troisième
question, la légitime défense putative, nous avons avancé
que celle-ci survient lorsqu'une personne suppose par erreur un état
de choses qui aurait rendu licite son acte de défense.
De notre brève
étude historique sur la légitime défense putative,
retenons
le chevauchement entre le droit civil anglais et le droit pénal
en matière d'"assault and battery" et l'application dans les deux
droits comme moyen de défense, de l'erreur raisonnable en "légitime
défense". L'étude de Fletcher sur les "torts" indique
que le XIXe siècle marque l'apparition du paradigme du caractère
raisonnable. L'absence d'une faute cesse d'être une excuse
pour devenir une justification.
Notre étude
du droit canadien sur l'attaque imaginaire indique que le droit positif
est quelque peu confus en n'exigeant pas toujours une erreur raisonnable.
La légitime défense putative est considérée
comme une justification. La disposition de la C.R.D. sur la défense
de la personne n'est pas entièrement assujettie à un critère
objectif comme le prétend la Commission.
À l'aide
de la thèse de l'incompatibilité des droits et des fondements
philosophiques de la légitime défense comme [271]
justification, nous avons établi que la légitime défense
putative ne pouvait être une justification. Les arguments des
opposants relèvent de la morale ou de la philosophie du langage
plutôt que d'un système cohérent de droit. Un
code pénal doit indiquer, sans ambiguïté, quand une
personne a le droit d'agir en légitime défense.
Dans notre deuxième
partie, nous avons analysé trois questions gravitant autour de la
notion de l'excuse.
La première
porte sur l'erreur. Si notre première partie démontre
que la légitime défense putative ne constitue pas une justification,
il nous restait à déterminer les solutions théoriques
pour celle-ci. Notre étude des législations étrangères
nous a offert un vaste panorama de solutions théoriques pour la
légitime défense putative. De cette étude, nous
avons retenu deux approches théoriques qui n'étaient pas
des justifications.
L'approche de
la négation de l'intention élargit les faits constitutifs
de l'infraction pour y inclure désormais les faits justificatifs.
On fait disparaître la distinction entre les deux premiers éléments
du système tripartite de l'infraction. Si l'erreur est déraisonnable,
la première approche permet de trouver l'accusé coupable
d'un crime de négligence si la conduite de l'accusé constitue
une telle infraction. Cette solution présente de sérieuses
difficultés pour la complicité et la disponibilité
de la légitime défense pour le prétendu agresseur.
La deuxième approche considère la légitime défense
putative comme [272] une excuse. L'accusé
agit illicitement mais il ne peut être blâmé.
Si l'erreur est déraisonnable, l'accusé pourra être
trouvé coupable de l'infraction intentionnelle; cependant, la peine
prévue pour cette infraction intentionnelle sera atténuée,
car le blâme qui peut être imputé à l'accusé,
est moindre que celui attribué à une personne qui aurait
agi en pleine connaissance de cause. Cette deuxième approche
ne présente pas les difficultés de la première.
Pour l'al. 3(17)a)
du Projet de code pénal portant sur l'erreur quant à
l'existence d'un moyen de défense, il nous a été impossible
de déterminer à laquelle des deux approches théoriques
précédentes cette disposition adhère. Cependant
l'al. 3(17)b) portant sur l'erreur déraisonnable semble découler
de la négation de l'intention. La C.R.D. ne présente
aucune solution au problème de la victime innocente.
Nous avons également
examiné l'évolution possible de la jurisprudence canadienne
pour le cas d'une erreur déraisonnable commise par une personne
qui est subséquemment accusée de meurtre. Une des évolutions
possible consisterait à conclure que pour de tels cas, la peine
pour le meurtre contrevient à l'art. 7 de la Charte et ne
peut être justifiée par l'art. 1. Les tribunaux
pourraient alors décider, soit de trouver l'accusé coupable
d'homicide involontaire coupable ("manslaughter") ou trouver l'accusé
coupable de meurtre mais d'infliger une peine proportionnelle au blâme
de l'accusé.
Comme principe
de justice fondamentale, l'erreur de [273]
droit ou l'ignorance de la loi pourrait bien devenir une excuse d'application
générale par le biais de l'art. 7 de la Charte pour
les infractions punissables par emprisonnement. L'application d'une
telle excuse s'avérerait peu probable dans un code pénal
moderne où la simplicité est de mise et dans un domaine aussi
central que la légitime défense. Cependant, vu la complexité
et l'ambiguïté de certains aspects de notre droit sur la légitime
défense, l'invocation future d'un tel moyen de défense n'est
pas à exclure.
Dans le chapitre
suivant, nous nous sommes penchés sur l'emploi de la force excessive
en légitime défense, lorsqu'elle est due à la perte
de la maîtrise de soi occasionnée par la peur ou le désarroi.
Notre droit devrait reconnaître une telle excuse. Les réformistes
anglais du XIXe siècle avait abordé le sujet mais celui-ci
est resté quelque peu tabou depuis. L'absence d'une telle
excuse dans notre droit peut s'expliquer par une vision masculine datant
du XIXe s. : l'homme n'est pas supposé avoir peur. Cette vision
ne tient plus aujourd'hui. Par exemple, le Dr Walker a écrit
: "As I've stated time and again : battered women kill out of fear".
Bien que la Cour
suprême du Canada ait rejeté la défense restreinte
d'usage de force excessive en légitime défense, les tribunaux
décident que l'excitation ou la peur, dans des situations de légitime
défense, peuvent affecter l'intention. Nous avons l'impression
que les tribunaux, sans doute à la recherche de la justice, font
indirectement ce qu'ils ne peuvent [274] faire
directement. L'intention joue un double rôle : comme fait constitutif
de l'infraction, elle signifie la conscience et la volonté de réaliser
un état de choses correspondant aux faits constitutifs de l'infraction
et, deuxièmement mais à tort, elle constitue le blâme.
La véritable question est de savoir si notre droit devrait reconnaître
une nouvelle excuse. L'art. 7 de la Chartepeut jouer un rôle
dans la reconnaissance d'une telle excuse.
Nous avons commencé
notre dernier chapitre, "Syndrome de la femme battue et situations de non-confrontation"
par une étude critique de l'arrêt Lavallee. L'acquittement
de Lavallee nous semble juste. La preuve d'expert sur le syndrome
de la femme battue lorsqu'elle est applicable aux faits d'une affaire,
nous semble très pertinente pour comprendre la situation désespérée
d'une accusée.
Notre critique
a porté premièrement sur l'omission, par le juge Wilson,
de traiter du par. 34(1) du C.cr. et de n'avoir considéré
que le par. 34(2). Le jury a probablement acquitté Lavallee
en vertu du par. 34(1). Cette omission a permis au juge Wilson d'éviter
toutes les questions théoriques difficiles, par exemple : Lavallee
repoussait-elle la violence par la violence lorsqu'elle a tiré?
La théorie de l'erreur est-elle applicable à ce paragraphe?
Cette erreur doit-elle être raisonnable?
Nous avons également
critiqué le traitement, par le juge Wilson, des notions de l'attaque
et de l'imminence du par. 34(2). C'est le texte même du par.
34(2) qui demande que [275] l'attaque soit
en cours. Une menace verbale et un danger ne sont pas des attaques
aux fins de l'art. 34. L'imminence exprime la règle qu'une
personne ne peut se faire justice soi-même.
Si le juge Wilson
n'avait pas exclu l'importance de l'imminence pour le par. 34(2), la preuve
par experts aurait été inutile dans la plupart des cas.
L'adhésion du juge Wilson à une conception positiviste du
droit, a forcé celle-ci à chercher une solution dans une
disposition législative existante au risque de rendre cette dernière
encore plus confuse.
Les véritables
questions que soulèvent l'arrêt Lavallee, si l'on souscrit
à l'opinion que Lavallee ne repoussait pas une attaque illégale
ou une attaque illégale et imminente, étaient de se demander
si Lavallee ne pouvait être blâmée pour son geste et
si la preuve d'un expert était pertinente à cette question.
Les réponses sont évidemment affirmatives.
Pour démontrer
que la femme battue qui tue son époux dans une situation de non-confrontation
ne devrait pas être considérée comme justifiée,
nous avons discuté de deux situations visant le cas hypothétique
du mari qui dort et de l'inapplication des trois fondements philosophiques
de la légitime défense.
Notre démarche
philosophique nous a poussé à trouver le fondement philosophique
de la justification dans les normes du droit qui précèdent
le droit positif. Ces normes expriment les valeurs ou les buts importants
que les lois pénales protègent. Le but important reflété
par la règle de l'imminence est [276]
l'exigence de la société envers ses membres de ne pas se
faire justice.
Toute femme qui
n'est pas dans une situation de confrontation doit chercher une solution
autre que la violence. Les normes du droit pénal sont exigeantes
et pacifistes. Le fait que pour de multiples raisons, la femme battue
tue dans un cas de non-confrontation ne justifie pas son acte mais sert
à l'expliquer. La compassion pour ceux qui n'ont pu respecter
la norme s'exprime lorsqu'on arrive à la considération du
blâme, condition de la punissabilité.
Nous avons examiné
certains arguments avancés pour justifier les cas de non-confrontation.
Nous avons indiqué qu'une meilleure compréhension de la notion
de justification et celle de l'excuse pourrait dissiper bien des malentendus.
Dans les cas
de non-confrontation où la femme battue tue ou blesse son époux,
le moyen de défense approprié est l'état de nécessité
qui excuse. L'arrêt Perka soulève cependant quelques
difficultés d'application qui ne nous apparaissent pas insurmontables.
Par exemple, cet arrêt demande que le danger soit imminent.
La femme battue se trouve face à un danger constant. La disposition
de la C.R.D. sur l'état de nécessité est incomplète,
car elle ne vise que l'état de nécessité comme cause
de justification.
Une simplification
de nos dispositions sur la légitime défense s'impose.
Cette simplification doit s'inscrire dans la [277]
réforme globale du Code criminel et, tout particulièrement,
de la Partie générale.
L'élément
essentiel de cette simplification et de cette réforme consisterait
à reconnaître les trois éléments de l'infraction
et de ce fait, la distinction qui existe entre la justification et l'excuse.
La Cour suprême du Canada a déjà légitimé
cette distinction dans l'arrêt Perka. Dans la Partie
générale du futur code, on devrait d'abord distinguer la
légitime défense et la légitime défense putative.
La première est une justification et la deuxième, une excuse.
La légitime défense putative devrait être traitée
dans une disposition applicable à toutes les situations où
une personne s'imagine faussement qu'il existe un état de choses
justifiant sa conduite. Ensuite, on devrait introduire dans ce code
une nouvelle excuse, celle de l'excès de force en légitime
défense lorsque cet excès est dû à la peur ou
au désarroi de la personne qui est attaquée ou qui est menacée
d'une attaque imminente. Enfin, dans la rédaction d'une disposition
sur l'état de nécessité comme cause d'excuse, on devrait
tenir compte de la situation où une femme battue agit dans une situation
de non-confrontation face au danger constant que représente son
mari violent.
Les dispositions
pertinentes du Projet de code pénal de la C.R.D. constituent
un point de départ pour la réforme. La réforme
d'une Partie générale ne se fait pas du jour au lendemain.
Elle ne peut s'effectuer qu'après quelques projets successifs et
de nombreuses études critiques. La C.R.D. a déjà
[278]
admis que certains aspects de son projet nécessitaient une simplification836.
Le classement des moyens de défense de la C.R.D. en justifications
et excuses permettrait de grandement améliorer ce projet.
Le Projet
de code pénal de la C.R.D. souffre d'une déficience fondamentale.
Ce code ne contient aucune disposition sur les peines. La notion
de blâme et de l'excuse ne peuvent se concevoir sans une philosophie
sur la peine. Cette partie inexistante du Projet de code pénal
explique en partie pourquoi la C.R.D. n'a pas classer ses moyens de défense
selon la distinction de la justification et de l'excuse.
Notre réflexion
sur la légitime défense nous a permis de faire deux constats:
le bien-fondé de la théorie tripartite de l'infraction, du
moins pour la légitime défense, et le rôle important
que doit jouer en droit la philosophie, si souvent négligée.
Quelle conclusion
générale pouvons-nous tirer de notre travail pour la théorie
pénale canadienne et la réforme de notre future Partie générale?
À notre avis, bien des questions importantes comme la définition
de la mens rea normative, la définition de la négligence,
l'erreur de droit, la nécessité comme justification ou excuse,
le désordre mental, la responsabilité atténuée
méritent d'être analysées et résolues par la
théorie tripartite de l'infraction.
[279]
Quelle théorie juridique notre future Partie générale
réflètera-t- elle? La théorie qui demande pour
un verdict de culpabilité, un actus reus, une mens rea
et l'absence d'un moyen de défense reconnu en droit? Une telle
théorie fondée en grande partie sur des locutions latines
encore remplies de mystères, nous permettra-t-elle d'avoir une Partie
générale cohérente et d'élucider les questions
importantes ci-dessus? Nous en doutons.
Dans notre introduction,
nous avons émis l'opinion que la théorie tripartite de l'infraction
était en voie d'être adoptée en droit canadien et qu'une
telle adoption ne pouvait se faire que progressivement. Nous souhaitons
avoir fait une modeste contribution vers cette adoption.
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