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12 septembre 1994

Quelques réflexions sur l'euthanasie et l'aide au suicide
             par François Lareau

(Mémoire présenté au Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et le suicide assisté avec
quelques corrections mineures subséquentes pour la publication ici)
 

Introduction
 

           L'euthanasie et l'aide au suicide intéressent les Canadiens au plus haut point.  Le cas de Sue Rodriguez a sensibilisé les Canadiens à ce sujet.  Bientôt, nous aurons un vote libre à la Chambre des communes.

           Dans ce mémoire, je présenterai trois courtes réflexions juridiques ou philosophiques.  Premièrement, j'examinerai la difficulté que soulève la peine fixe pour l'homicide intentionnel à la demande de la victime; je proposerai une solution.  Ensuite, un bref examen d'une partie de nos sources juridiques, m'indiquera une voix à suivre.  Enfin, le concept du «glissement  progressif», nous montrera le danger de la décriminalisation.
 

I- Le problème de la peine fixe pour l'homicide intentionnel à la demande de la victime

           Le problème central concernant l'homicide intentionnel à la demande de la victime consiste dans le fait que l'acte constitue un meurtre au premier1 ou au deuxième degré qui entraîne une peine fixe et minimale.  Une telle peine enlève toute flexibilité possible au juge sur le plan de la sentence pour les cas où l'illégalité et le reproche de faute2 de l'acte intentionnel ne méritent pas que soit imposer la peine fixe.

           Quels sont ces cas?  L'article 114 du Code pénal suisse, tel que modifié en 1989, semble couvrir les situations envisagées :

ART. 114.  Meurtre sur la demande de la victime.  Celui qui cédant à un mobile honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort à une personne sur la demande sérieuse et instante de celle-ci sera puni de l'emprisonnement3.


           La Commission de réforme du droit du Canada (ci-après la «C.R.D.») dans son projet de Code criminel ne propose pas d'infraction distincte.  Cependant, celle-ci recommande majoritairement que l'homicide par compassion ne soit pas un meurtre au premier degré s'il est commis par préméditation4; de plus, la Commission propose que la peine pour le meurtre, autre qu'au premier degré, ne soit ni fixe, ni minimale5.
 

           La solution de la C.R.D., on le constate, se fait à l'intérieure d'une révision complète du droit sur l'homicide.  Puisque le Comité sénatorial n'a pas un tel mandat et que je doute fortement que les Canadiens accepteront que la peine fixe et minimale pour le meurtre soit abandonnée, la solution semble être la création d'une infraction distincte portant sur l'homicide à la demande de la victime.  La C.R.D., avant la publication de son projet de Code criminel avait pris la position que le droit actuel ne devrait pas être modifié et que plusieurs solutions existaient pour pallier aux cas du meurtre par compassion :

Il est possible, tout d'abord, dans certaines hypothèses, que l'accusé enregistre un plaidoyer de culpabilité à une infraction moindre.  Il nous semble ensuite que l'on doive faire confiance au système de procès que nous connaissons et notamment aux évaluations et verdicts des jurés.  Enfin, il n'est pas sûr que les autorités, dans des cas vraiment exceptionnels, décident de porter des accusations6.
           Ces solutions, maintenant abandonnées par la C.R.D., sont insatisfaisantes.  Le plaidoyer à une infraction moindre, suppose l'assentiment du substitut du procureur général.  Le verdict du juré, autre qu'un verdict de culpabilité pour meurtre, me semblerait être un verdict exceptionnel et possible mais non conforme aux directives du juge sur le droit positif7.  Enfin, être à la merci de la discrétion du substitut du procureur général me semble être une solution inacceptable fondée sur l'arbitraire.
 

           La solution épistémologique à l'homicide intentionnel à la demande de la victime ne peut être réglée que dans une réforme complète du drot sur l'homicide.
 

II- Les sources de notre droit 12

           Notre droit criminel provient en grande partie de la common law anglaise.  Celle-ci a été formée à partir du droit canon et de la philosophie et théologie chrétienne8.
 

           Le christianisme et, sans doute, toutes les autres grandes religions, défendent l'homicide et le suicide.  Notre droit devrait-il encore refléter ces principes fondamentaux du christianisme?  La notion du droit, tout comme les valeurs de la société n'évoluent-elles pas?  Prenons par exemple, le suicide.  LaFave et Scott expliquent qu'autrefois, le suicide was «a common law crime (a felony) in England, punishable by burial in the highway with a stake throuigh the suicide's boby and by forfeiture of all his gods to the Crown»9.  En 1972, l'infraction de tentative de suicide prévue à l'art 225 du Code criminel est abrogée10.  Devrait-on encore punir, l'aide au suicide?11
 

           Notre Charte reconnaît que le «Canada est fondé sur des principes qui reconaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit»12.  Brentano rapporte que Leibniz aurait dit que sans la philosophie, la plupart des questions légales seraient un labyrinthe sans issue13.  La philosophie du droit se veut par définition une réflexion sur le droit.  Personnellement, je crois que les valeurs chrétiennes fondamentales que sous-entendent notre droit devraient demeurer. Conséquemment, l'euthanasie à  la demande de la victime et l'aide et l'incitation au suicide devraient rester des crimes14.
 
 

III.  Le danger du glissement progressif
 

           Existera-t-il une réaction ou phénomène dit «slippery slope» ou glissement progressif si l'aide au suicide et l'euthanasie à  la demande de la victime sont légalisées?
 

           Personnellement, je le crois.  Les soins palliatifs subiront une régression.  Pourquoi soigner si l’on peut éliminer la souffrance à un coût moindre et sans efforts!  Le danger est grand.  Comme le disait le Dr Scott : «Medical practice in the arena of death is  already on a slippery slope»15.  Les études ne démontrent-elles pas que les soins palliatifs en Hollande sont parmis les pires!
 

           Je n’ai aucun doute que si l’on décriminalise, les provinces seront progessivement contentes d’épargner de l’argent en favorisant l’euthanasie à la demande du patient plutôt que de débourser de l’argent pour de longs et dispendieux traitements.
 

Conclusion
 

           J’espère que les membres du Comité retiendront trois points.  Premièrement que la création d’une infraction d’homicide intentionnel à la demande de la victime permettra de traiter de cet homicide hors du contexte du meurtre donc hors de cette trappe qu’est la peine fixe pour le meurtre.  Ensuite, que nos sources juridiques qui proviennent en grande partie du christianisme ne devraient pas être oubliées, ni être mises à l’écart.  Enfin, troisièmement, l’État devrait favoriser le développement des soins palliatifs.  Conséquemment, le droit ne devrait pas permettre l’euthanasie, ni l’aide ou l’incitation au suicide.

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1. Si le meurtre est effectué avec préméditation et de propos délibéré, para. 231(2) du Code criminel.

2. Ces termes doivent être interprétés selon la théorie tripartite de l’infraction dont George P. Fletcher, nous donne une esquisse dans Rethinking Criminal Law, Boston : Little, Brown, 1978.

3.  Pour une vue générale de cette infraction, voir, José Hurtado Pozo, Droit pénal, Partie spéciale 1, Infractions contre la vie et l’intégrité corporelle, 2e éd., Fribourg (Suisse) : Éditions Universitaitres Fribourg, 1991 aux pp. 55-59, ISBN : 2827103796.

4. C.R.D., Pour une nouvelle codification du droit pénal, Ottawa : Commission de  réforme du droit du Canada, 1987, p. 67 (Collection; rapport; numéro 31), ISBN : 066254578.

5. Ibid.

6. C.R.D., Euthanasie, aide au suicide et interruption de traitement, Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1983, p. 20 (Collection; document de travail; numéro 28), ISBN: 0662526538.

7. Sur le sujet, voir R. v. Morgentaler, (1985) 23 Canadian Criminal Cases (3d) 353, aux pp. 431-435 (Cour d'appel de l'Ontario) et R. c. Morgentaler, [1988] 1 Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada 30, aux pp. 76-79 (Juge en chef Dickson).

8. Voir Richard O’Sullivan, The Spirit of the Common Law : A Representative Collection of the Papers of Richard O’Sullivan, Selected and edited by B.A. Wortley, Tenbury Wells (Angleterre) : Fowler Wright Books, 1965 et G.W. Keeton, The Norman Conquest and the Common Law, Londres: Benn, 1966, aux pp. 69-70.

9. Wayne R. LaFave et Austin W. Scott, Substantive Criminal Law, vol. 2, St-Paul : West Publishing,  p. 247 (Collection; Criminal Practice Series), ISBN: 0314984038.

10. 1972, ch. 13, art. 16.

11. Certains pays ne criminalisenmt l’aide au suicide que pour certaines circonstances; par exemple, l’art 115 du Code pénal suisse sur l’incitation et l’assistance au suicide dispose que «Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l’emprisonnement».

12. Préambule de la Charte canadienne des droits etr libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

13. 1. Voir F. Brentano, The Origin of Our Knowledge of Right and Wrong, Londres : Routledge & Kegan Paul, 1969, aux pp. 3-4 (Collection; International Library of Philosophy and Scientific Method), OISBN: 0710063210.

14. Selon ce mémoire, une infraction distincte devrait cependant être créée pour l’homicide à la demande de la victime.

15. John F. Scott, Submission to Legislative Committee on Bill C-203, An Act to Amend the Criminal Ciode (Terminally Ill Persons), 19 novembre 1991, p. 5.  Ce mémoire n’est pas annexe dans le fascicule no 5 des Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif H sur le Projet de loi C-203, Loi modifiant le Code criminel (personnes en phase terminale) du 19 novembre 1991.

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