Note
I have made a few minor editing changes to the original letter.
J'ai effectué quelques corrections mineures à l'original.
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"François Lareau, LL.M.
55-890 Cahill Drive West
Ottawa, ON, K1V 9A4
Tél. : (613) 521-3689
Ottawa, le 6 mars 2002
L'honorable Martin Cauchon
Ministre de la Justice
Chambre des communes
Ottawa, ON, K1A 0A6
Monsieur,
Objet: Progressons-nous? -- Partie générale du Code criminel
Félicitations et bienvenue à notre nouveau ministre de
la justice! Je vous écris concernant la Partie générale
du Code criminel. Je me demande si vous allez continuer la
réforme de la Partie générale et quelles en sont les
prochaines étapes? Tous les juristes sérieux attendent
votre décision. J'espère que vous aborderez ce sujet
lors de vos prochains discours au Barreau canadien et au Barreau du Québec.
Comme vous le savez, les codes pénaux modernes se composent de
deux parties -- la Partie générale et la Partie spéciale.
La partie générale contient tous les principes généraux
(moyens de défense etc.) s'appliquant aux crimes que l'on retrouve
dans la Partie spéciale. De nombreux pays ont modernisé
leur Code pénal, par exemple l'Allemagne, la France, l'Espagne.
Certains pays ont même deux codes distincts : un code pénal
et un code de procédure pénale. Enfin les meilleurs
ont même un code pour les infractions réglementaires.
Le Canada est loin derrière! Une Partie générale
qui remonte à 1893.
Un bref historique de la participation du Canada dans le mouvement de
recodification du XXe siècle vous permettra d'évaluer ce
que nous avons fait et ce qu'il reste à faire.
La Commission de réforme du droit du Canada avait proposé
en 1986 une nouvelle Partie générale. En 1993, un sous-comité
de la Chambre des communes avait recommandé une nouvelle Partie
générale. En 1993, le ministère de la justice
publiait un livre blanc sur la réforme de la Partie générale.
En 1994, le Barreau canadien recommandait au Ministre de former un groupe
de travail pour rédiger la Partie générale.
En 1995, les hautes instances de la GRC écrivaient à votre
ministère que "This [general] part of the codified law does not
accurately reflect the values and concerns of our constantly evolving pluralistic
society and the leading court decisions." On retrouve tous ces textes
et références à www.flareau.com
, droit pénal, et "chronology".
Il semble que le ministère de la Justice se trouva en 1995 devant un cul-de-sac. Ne voulant pas accepter l'aide que lui proposait le Barreau canadien, le ministère réalisa une dure réalité, soit que son approche de "consolidation" de son livre blanc ne correspondait pas à la codification qui s'imposait. Pourquoi a-t-on commis une telle erreur? Comme les autorités québécoises l'expliquaient au ministère en 1994 :
Il est de mon intention de rencontrer vos collaborateurs [...] sur ce livre blanc. La partie générale du Code criminel qui codifierait la nature des infractions criminelles et les défenses aux infractions doit, selon moi, être accessible à l'ensemble de la population. Elle doit, de plus, permettre d'identifier clairement l'orientation de la politique judiciaire au Canada. Comme les représentants du Québec l'ont déjà à plusieurs reprises mentionné, une codification ne doit pas être la transcription des jugements des tribunaux mais l'écriture de façon simple et concise de la volonté du législateur. C'est dans cet esprit que les rencontres que j'aurai avec vos collaborateurs s'inscriront.
On décida alors au ministère, pour se donner un répit,
de travailler sur une tout petit morceau de la Partie générale,
soit la légitime défense. En octobre 1995, on assigne
au juge Ratushny le soin de rédiger un rapport. Suite au rapport
de celle-ci en juillet de 1997, l'honorable Anne McLellan prend en 1998
l'importante décision suivante :
While the Department of Justice, at the direction of my predecessor, the Honourable Allan Rock, conducted consultations on the reform of the General Part of the Criminal Code, it is my not [sic] intention to undertake a comprehensive recodification of the General Part. Instead, I propose to focus our energies in consulting on a limited number of issues of public concern and importance within the General Part. I will soon be starting consultations on possible reforms to the law of self-defence, provocation and the defence of property, bearing in mind the recommendations for reform made in the Ratushny Report.
En 1998, le ministère publiait un document de consultation
sur la légitime défense. Depuis plus rien. Cette
inertie me surprend, me désole. J'ai l'impression que l'on
essaie maintenant de faire dispaître 30 ans d'efforts, par des mesures
progressives de diversion.
D'autres facteurs expliquent aussi l'échec de 1995. Votre
ministère n'a jamais conçu, ni tout à fait accepter
le principe que la Partie générale forme un tout. Par
exemple, suite à l'arrêt Daviault, on codifia partiellement
l'intoxication volontaire comme moyen de défense. On mit ce sujet
sur le "fast track", l'extirpant des consultations sur la Partie générale.
On "consolida" ensuite les dispositions du Code criminel sur la
détermination de la peine, sans tenir compte de sa place et de son
rôle dans la Partie générale. Conséquemment,
en 2002, les juristes se demande ce que veut dire la "responsabilité",
lorsque l'article 718.1 du Code criminel édicte que
"La peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction
et au degré de responsabilité du délinquant. »
Pourquoi? Parce que l'on n'a pas encore codifié la "responsabilité"
dans le Code criminel. Il faudra des dizaines de décisions
de la Cour suprême du Canada et des millions de dollars pour nous
éclairer sur ce sujet!
Comme civiliste et juriste possédant un grade de maîtrise
en droit, vous comprendrez l'importance de rajeunir et de moderniser cette
Partie générale. Cette modernisation donnera un caractère
canadien aux valeurs qui doivent y être reflétées.
Seuls les grands ministres de justice peuvent accomplir une telle oeuvre.
Si vous avez le temps, lisez sur la vie du grand juriste et ministre de
la justice allemand, Fuerbach.
On doit réaliser l'importance de la Partie générale.
Par exemple, l'état de nécessité doit être codifié
(voir l'arrêt Perka de la Cour suprême du Canada) .
Les Canadiens ont besoin de savoir. Tel est le but d'un code pénal.
Ce moyen de défense serait également très utile pour
protéger et faciliter le travail des policiers. Une codification
des différents états d'esprit nécessaires pour chaque
infraction criminelle comme l'intention ou la négligence permettrait
éventuellement de simplifier et de clarifier les infractions.
On se souvient tous de la "misère" comme étudiant universitaire
à essayer de déchiffrer le sens de la négligence criminelle!
Notre Code criminel n'est pas la chasse gardée des avocats,
il appartient au peuple. Informez-le, guidez-le!
Quelle fierté et quel honneur pour vous, monsieur le ministre,
que de dire aux Canadiens et à vos collègues internationaux
que le Canada est en voie d'adopter une nouvelle Partie générale
pour sa population toute entière. La Partie générale
est l'expression de toute la science juridique d'un pays. John A.
MacDonald avait son chemin de fer pour bâtir l'unité nationale,
et Martin Cauchon, lui, a eu sa Partie générale pour formuler
les valeurs canadiennes! Parlez d'un tel projet à Monsieur
Chrétien. Il vous écoutera avec intérêt,
lui qui publiait en 1982 comme ministre de la Justice et dans les plus
beaux moments du mouvement de réforme, Le droit pénal
dans la société canadienne (1982). Peut-être
qu'il vous demandera-t-il un jour où en est le projet?
Je ne dis rien de l'importance pour vous et votre politique criminelle
de s'assurer que notre Partie générale est en conformitée
avec la Charte. Dernièrement, la Cour d'appel statuait
sur la constitutionnalité de l'article 43 du Code criminel
(l'emploi de la force par les parents comme moyen de défense).
L'article 17 sur la contrainte, tel que rédigé, est-il constitutionnel?
Le droit est-il le même dans toutes les provinces? Quel marasme!
Notre Partie générale fait piètre figure sur le plan
international.
Dans vos responsabilités de ministre, je ne peux penser à
aucune autre loi aussi importante pour les canadiens que le Code criminel.
Comme écrivait le grand juriste allemand von Jhering: « Le
droit criminel, c'est le visage du droit réfléchissant l'individualité
toute entière du peuple, sa pensée, ses sentiments, son caractère,
ses passions, son degré de civilisation ou de barbarie, toute son
âme, en un mot : c'est le peuple même. L'histoire du
droit criminel des peuples est un fragment de la psychologie de l'humanité
».
J'espère que comme nouveau ministre, vous allez reviser la position
de votre ministère et formuler votre politique future sur
la Partie générale.
Méfiez-vous de l'argument facile de ceux qui disent que le projet
est dispendieux. Évidemment, si on morcelle la Partie générale
en mille petits projets ad hoc, le tout devient un puzzle à se casser
la tête et à n'en plus finir. Le solution est assez
simple. Il s'agit d'avoir un plan. Rien de plus pratique qu'une
bonne théorie comme disait Emmanuel Kant. Sir James Fitzjames
Stephen à lui seul a écrit notre Partie générale
de 1893. Récemment, l'éminent professeur Stuart
de l'Université Queen's a rédigé une Partie générale,
gratuitement. Certains de vos fonctionnaires ont même travaillé
sur la Partie générale du Statut de Rome pour la création
du tribunal international. Si vous en donniez l'ordre, vous
pourriez présenter au grand public un projet dans un an, au maximum.
Quels sont les plans futurs de votre ministère? Évaluez
ce plan avant que vous deveniez seulement un rouage temporaire.
Critiquez ce plan, discutez en avec les juristes, les Canadiens.
Bref soyez démocratique. J'ai confiance en vous.
On avancera aussi que certaines provinces s'opposent à une Partie
générale. Assurez-vous que cette position n'est pas
celle de certains fonctionnaires provinciaux de la vieille garde mais plutôt
celle des ministres de la justice eux-mêmes. Il y a une différence
entre les deux. Il y a certes des provinces qui peuvent s'opposer
mais il faut comprendre que leur opposition est fondée bien souvent
sur le fait que le fédéral demande une trop grande participation
de celles-ci, pour un travail qui ne tombe pas sous leur compétence
et pour lequel, ils n'ont pas la main-d'oeuvre nécessaire, ni les
fonds. Enfin méfiez-vous, de l'attitude archi-conservatrice
de certains practiciens. Le professeur Albin Eser, ancien directeur
du Max-Planck-Institut für ausländisches und internationales
Strafrecht à Fribourg, me disait que la plus grande objection
des practiciens à la réforme du Code pénal
allemand de 1975 fut le changement de numérotation des articles
de celui-ci!
Je ne cacherai pas le fait que le projet d'une nouvelle Partie générale
présente un défit énorme à vos fonctionnaires.
Le Code criminel est un code. Sa Partie générale
doit posséder une unité, une harmonie et une logique que
peu de juristes peuvent créer. Avec respect pour vos fonctionnaires,
pourquoi ceux-ci, par votre entremise, ne font-ils pas appel à
un juriste comme le Professeur Stuart ou le juge Létourneau pour
un tel projet? Pourquoi ceux-ci ont-ils refusés l'aide du
Barreau canadien? Je dois conclure comme juriste que votre ministère
manque de leadership.
Nous attendons tous la bonne nouvelle d'un nouveau leader. Pour terminer, je citerai, partie d'une lettre que m'écrivait le substitut en chef de la Province du Québec en date du 25 juin 1999 :
Je trouve fort louable les efforts que vous faites en vue d'amener le législateur fédéral à réformer la partie générale du Code criminel. Comme vous le savez, il s'agit d'un objectif que poursuivait l'ancienne Commission de réforme du droit du Canada auquel le ministère de la Justice du Québec a non seulement souscrit et encouragé mais aussi soutenu. [...][...] le ministère de la Justice du Québec s'est désillusionné depuis plusieurs années après maints efforts pour convaincre les autorités fédérales de réformer la partie générale et la partie spéciale du Code criminel. [...]
[...] Nous nous sommes donc résignés à collaborer à un rapiéçage du Code criminel [...].
J'ose espérer que vous interpréterez ma lettre comme
une contribution à la réflexion importante qui s'impose au
début de votre terme.
Croyez en mon entière collaboration.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments
distingués.
François Lareau
Membre du Barreau du Québec"
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