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      François Lareau
      55-890 Cahill Dr. W.
      Ottawa, ON,  K1V 9A4
      Tél.: (613) 521-3689

      Ottawa, le 9 décembre  2002

L'honorable Martin Cauchon
Ministre de la Justice
Chambre des communes
Ottawa, ON,  K1A 0A6
 
 

Monsieur le ministre,

                                                    Objet: Réflexion sur le processus pénal -- Partie générale
 

Je note l'intention de votre ministère d'introduire éventuellement au Parlement un projet de loi codifiant une  disposition appartenant à la Partie générale du Code criminel, soit la responsabilité pénale des personnes morales (Réponse du gouvernement au quinzième rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne -- Responsabilité  des personnes morales, novembre 2002).   Je doute fort qu'une telle décision soit sage puisqu'il s’agit d’un projet isolé sur la Partie générale.  Toute réforme de la Partie générale doit s’inscrire dans un ensemble logique sinon l’échec résultera de l’initiative.  La preuve en a été faite.
 

Vers les années 1998, votre ministère abandonna son projet d'une réforme totale de la Partie générale du Code criminel après avoir dépensé  des  millions de dollars sur la révision du droit pénal.  Je suis surpris que le vérificateur général du Canada ne s’est pas encore penché sur ce sujet.  Je lui avais écrit, il y a quelques années à ce sujet.
 

La Partie générale d’un code pénal  comprend ou devrait comprendre tous les grands principes du droit pénal, par exemple les moyens de défenses, les peines etc.  Ces principes s'appliquent alors à toutes les infractions que l’on retrouve dans l’autre partie du code, soit la Partie spéciale.  Nous parlons évidemment ici d’un code criminel ou pénal moderne.  La décision de 1998 fut une grande déception pour tous les juristes sauf, évidemment, pour les décideurs de la politique criminelle de votre ministère qui s’allégeaient ainsi d'un lourd fardeau intellectuel, d’un travail herculéen, demandant planification et leadership.
 

Pour ne pas faire perdre la face au ministre de l’époque, l’honorable Anne McLellan,  on lui recommanda, à tort,  de poursuivre cette réforme mais d'une façon partielle, à coups de petits projets.  La ministre suivant l’avis de ces experts décida d'aborder premièrement la réforme du moyen de défense qu'est  la légitime défense (en plus de la provocation qui ne concerne pas la Partie générale si ce n’est que comme concept de circonstance de mitigation).    Non seulement ce fut un échec -- on a abouti à rien -- mais ce fut une démonstration, une preuve irréfutable que la voie des réformes partielles pour la Partie générale ne fonctionnait pas.  Logiquement, on aurait dû retourner à l'opinion unanime de la nécessité d'une réforme globale.  On n’a rien dit, on n’a rien fait, on n’a  pas été démocrate face aux citoyens et au Parlement.
 

Hélas, monsieur le ministre, je dois conclure, que vous allez être la prochaine victime à tomber dans la trappe de l'inexpérience, de l’ignorance et de l’attrait des petits projets législatifs  (genre augmentation des peines pour des infractions ou bill omnibus).   Soyez assuré que tous les juristes vous regardent agir et se secouent la tête en se disant – « pas encore un autre ministre sans vision! »  Je crois sincèrement que vous avez l’obligation d’écouter aussi l’opinion des juristes qui ne partagent pas les mêmes opinions qu’un ou deux de vos fonctionnaires qui vous répètent leur litanie que les provinces ne veulent pas d’une réforme de la Partie générale et que le tout coûterait trop cher (le professeur Stuart a écrit récemment une Partie générale gratuitement).    J’espère qu’un jour, un bâtonnier vous invitera à venir exposer votre  vision d’un code pénal moderne.    Les fonctionnaires responsables de cette situation seront sans doute à la retraite et vous (ou un autre ministre) chercherez alors de vaines explications et excuses perdues dans le temps.  Pourquoi retarder l’inévitable progrès?
 

Tous les juristes comprennent et écrivent que la Partie générale forme un tout.    À titre d'exemple, dans la Réponse [du gouvernement] au 14e rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne -- Examen des dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux (2002), votre gouvernement (par l'entremise de votre propre  ministère) mentionne clairement que la réforme sur l'automatisme, un autre sujet de la Partie générale, ne doit pas être effectuée d'une façon isolée.  On le dit expressément : "La réforme éventuelle de l'automatisme doit passer par l'examen global de la partie générale du Code criminel de façon à élaborer une théorie des moyens de défense qui soit cohérente et fondée sur des principes solides".  À remarquer que cette opinion est émise le même jour que celle de la décision d’effectuer une réforme partielle de la Partie générale sur la responsabilité pénale des corporations!    À vrai dire, je me demande si votre ministère comprend bien la notion de Partie générale et son fonctionnement.  Pourquoi ne pas demander une note d’explication sur le sujet.     Pour moi, je ne vois qu’une politique criminelle confuse, un bateau qui navigue sans boussole sur une mer de plus en plus agité.
 

Monsieur le ministre, il y a une nécessité urgente d'un dialogue entre juristes et votre ministère afin de développer une politique de justice pénale qui soit plus rationnelle et démocratique.  Votre processus de développement d'une politique criminelle est formulée principalement à partir d'un dialogue entre Ottawa, les provinces et les territoires (rencontres des groupes de travail, des hauts-fonctionnaires, des sous-ministres et des ministres).   En très grande partie, le développement de cette politique a une saveur de "procureur de la Couronne".   Certes, de bons résultats surviennent de ces consultations mais se sont toujours des projets législatifs en réaction à des évènements particuliers (une décision particulière de la Cour suprême, problème particulier comme le voyeurisme, etc.)   Les juristes se demandent : « Mais où est l'architecte de la politique criminelle au ministère de la Justice? »  L'architecte, c'est vous!    Je ne crois pas que le rôle d’un ministre de la Justice  dans le domaine de la législation criminelle doit se limiter à des petites "jobines" qui résulteront à l'édification d'un édifice, le Code criminel, complexe et inaccessible pour les citoyens canadiens.  Moi je m’attends à plus.
 

Le  droit pénal est le reflet de la société et de son niveau de civilisation.  Le parti libéral a besoin d'une plate-forme, d'une vision à long terme sur le droit pénal et sur la responsabilité du gouvernement d’informer ses citoyens dans un langue qu’ils peuvent comprendre.  Monsieur le ministre, vous pouvez continuer de vivre avec les vieux principes généraux du Code criminel énoncées au XIXe siècle et qui font le plaisir des techniciens, mais vous n'allez certes pas impressionner ceux pour qui un code pénal doit être un texte législatif cohérent, harmonieux, simple et fait pour ses citoyens.   Pourquoi rendre le Code criminel pareil à la Loi de l’impôt sur le revenu?   On a offert de l’aide à votre ministère.  On s’est réfugié dans le silence.  Faudra-t-il un autre scandale pour que Martin Cauchon réagisse?
 

La solution est facile : un code pénal, un code de procédure pénale et un code sur la preuve.  Voilà un but noble  auquel devrait aspirer un ministre de la Justice possédant une maîtrise en droit et un niveau supérieur de synthèse.
 

Veuillez compter, Monsieur le ministre,  sur mon entière collaboration et accepter l'expression de mes sentiments distingués.
 
 
 
 

François Lareau, LL.M.
Membre du Barreau du Québec

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