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Journal, Le Droit, samedi, le 18 août 2001, pp. A15- A16
© Claude Bouchard, Ottawa, 2001
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DARAGON EXPOSE

Claude Bouchard
Collaboration spéciale
 

      Jean-Paul Lafrance, dit Daragon, continue à mystifier ses admirateurs par la complexité de sa créativité. Connu pour la présentation de sujets à caractère macabre ou à érotisme à outrance, le peintre, qui n`a pas tenu d`exposition publique depuis 1996, offre cette fois, dans son atelier-galerie de Buckingham, un ensemble d`acryliques sur toiles de style expressionniste-romantique où l`être et la nature s`harmonisent.

      Cette fois, Daragon délaisse une iconographie qui, dans le passé, a été le plus souvent sombrement passionnée. Une inquiétude, quelquefois voilée, mais le plus souvent brutalement apparente transpire dans toute l`oeuvre du peintre, pour qui l`art est une réalité quotidienne.

      Lors de sa dernière exposition, le peintre affaichait des prix de l`ordre de 20 000$, qui faisaient fuir ou sourire, selon le cas, les amateurs.  Je pose la question à Daragon :

    Claude Bouchard: « Pourquoi avoir affiché de tels prix ?»

Daragon: «C`est simple.  Je ne voulais pas vendre mes toiles. »

- Pourquoi, alors, avoir exposé?

- Pour observer les réactions des visiteurs…pour entendre les commentaires…pour tenter d`analyser, entre autres, les gloussements.

- Vos prix semblent être plus à la portée des amateurs, cette fois.  Est-ce dire que vous avez modifié vos intentions?

- J'ai l`intention de m`expatrier en France pour un an ou deux... plus particulièrement en Provence, dans un petit village médiéval muré où je pourrai travailler et poursuivre mes recherches à mon aise, sous d'autres cieux. La culture, la lumière, l'atmosphère, les gens et les mentalités seront différents et me permettront possiblement de grandir dans mon parcours artistique.  Et, pour boire, il faut vendre.

      Daragon présente environ 25 toiles, dont La mariée. La toile a connu du succès puisqu'on la volée alors qu'elle ornait les murs du Bistro LaLa, à Buckingham, il y a quelques semaines.  De dire le peintre: «J`espère que l'amateur qui l'a dérobée l'aura appréciée à sa juste valeur quand elle était en sa possession.»  L'oeuvre a depuis été récupérée, à Hull.  «J`aurais préféré que le voleur me demande de la lui offrir.  J`aurais répondu 'Non!'» ajoute le peintre en riant à gorge déployée.   «Plus sérieusement, je lui aurais conseillé de choisir une autre toile, puisque La mariée, je l`ai vendue, hier.»

      La mariée se situe dans un cadre bucolique estival qui invite le lecteur à y pénétrer.  La luminosité de l`oeuvre, le bonheur insouciant de la jeune femme qui gambade dans le pré fleuri et dont le voile étoilé danse au vent constitue une toile réussie qui se situe parmi les plus belles de l`exposition.  Les traits de la jeune femme ne sont pas définis et le personnage qui se déplace dans une robe de tule blanche, légère et transparente, est enveloppé de soleil.

      Le lecteur admire ensuite une  toile  de grand format (54 x 36 pouces), qui n'est pas titrée.  Un nu, assis dans la pénombre, sur un sofa-lit, est baigné par les rayons bleutés d`une pleine lune.

      Le spectateur peut, à son choix, observer la scène à partir de l`extérieur ou, au contraire, se glisser à l`intérieur, avec la jeune femme, pour y admirer la nuit à l`extérieur.  Un ciel brillament éclairé  par des constellations d`étoiles et par la lumière que diffuse la Lune illumine les contours de le jeune femme.  Partout des ombres de dégagent: d`une clôture, d'oiseaux, de grands arbres aux branches tombantes et fantomatique.  La lumière ainsi répandue produit des effets dramatiques accentués par la couleur qui se compose de rouges, de noirs, de jaunes, de verts, de bleus et de blancs.

      Daragon est originaire de Troy, dans l'État de New York.  L`artiste qui compte plus de 20 expositions solo en autant d'années a fait ses études collégiales en arts plastiques, à Rimouski, et a obtenu un baccalauréat Es Arts à l'Université du Québec, à Hull.  Alors qu`il se décrit comme un peintre perceptiviste-expressionniste,  nous le percevons davantage comme un expressionniste-romantique dans plusieurs des toiles qu`il nous présente à l`intérieur de  l`exposition actuelle.  Tant la direction des arts plastiques de l`Université du Québec à Hull  que la critique générale se sont accordées pour louanger la qualité de dessin de l`artiste.  L`exposition actuelle ne fait pas exception.

      À 40 ans, Daragon demeure fidèle aux thèmes qui l`ont toujours inspiré - l`amour charnel et le désespoir de d'être.  Le jeune artiste qui, depuis le début des années 1980 s`était révolté contre tous les aspects de la vie telle qui la concevait, s'était acharné à la dessiner et à la peindre au rythme de ses interprétations.  Son oeuvre aurait pu constituer un défit de taille pour un psychologue clinicien.  La conception que se faisait l'artiste des hommes, des femmes et de la vie en général, de la mort, était brutale et torturée.  Elle évoquait la domination des pauvres, des  démunis, par les bien-nantis.  Aussi, l`iconographie du peintre reflétait-elle cette croyance, cette vision sans espoir d'un monde en état d'irrémédiable dégradation.  Cette croyance profondément ancrée faisait de Daragon le peintre contestataire par excellence, le peintre de l`avilissement de l`homme par l`homme.

      Aujourd`hui, armé d'une perception plus équilibrée, la libre expression n'en demeure pas moins le fanion du peintre.  Il persiste à peindre avec frénésie, avec fougue, et la couleur jaillit de son oeuvre comme l'eau d`une fontaine.  S`il est toujours marginal et contestataire dans l'âme, Daragon (l'âge aidant sans doute ) a compris que sa perception nuisait à sa projection  picturale.  Fin observateur d`un segment particulier d'un monde de l`ombre, le peintre a su traduire sur toile le désespoir d`un vécu d`une époque.

      Un tableau intitulé Last Call, Rimouski  projette l'image ulcérée d'une femme d'âge mur, cigarette aux lèvres et verre de martini à la main, qui semble figée dans le temps. L'oeil est dénué d`expression et la vulgarité est inscrite sur ses traits fatigués.  Le tableau, un chef-d'oeuvre, reflète la tristesse et la déchéance d'une solitude sans espoir.  Une murale de mauvais goût, jaune et ornée de taches rouges sans signification donne le ton à la salle. ( Taverne ou salon prolétaire.)  Une table dont les chaises sont remontées indique que le dernier appel a été lancé.  (Last Call) À la gauche de la toile, la femme, assise à une table rustique, est ostensiblement la dernière cliente. Elle s'acroche à ce verre dans l`espoir de n'avoir pas à quitter le lieu.  L'oeil  morne, d'épaisses lèvres peintes de rouge, un chapeau vert pâle à la mode des années 1940-1950 et qui couvre une tignasse de longs cheveux trop blonds, trop voyants, qui à leur tour tombent sur une robe bleue.
 

JEAN-PAUL LAFRANCE, DIT DARAGON, EXPOSE LA DERNIÈRE PRODUCTION DE SES TOILES.  JUSQU'AU 8 SEPTEMBRE, DANS SON ATELIER-GALERIE SITUÉ AU 342, RUE CHÉNIER, À BUCKINGHAM.  LA GALERIE EST OUVERTE DE 13 H À 19 H TOUS LES JOURS.  POUR INFOS: (819) 281-8623.